Science-friction : pour en finir avec les inondations

En finir avec les inondations

Crédit photo : La Presse Canadienne / Ryan Remiorz

Même en dehors des zones humides, le sol peut se gorger d’eau quand il pleut, mais pas l’asphalte. L’étalement urbain est le meilleur ami des inondations.

Imaginez-vous un médecin fumer en recevant un malade en consultation ? Impensable ! Pourtant, dans les années 1960, c’était la norme. Quel rapport avec les inondations ? À l’époque où des scientifiques mettaient en garde les politiques contre les dangers du tabac, d’autres s’inquiétaient des risques que la disparition des milieux humides, la canalisation des rivières et l’imperméabilisation des sols, déjà bien entamées, faisaient courir à notre capacité de contenir les crues. De nombreuses études à ce sujet ont été publiées dans la décennie qui a précédé la signature de la Convention internationale sur les milieux humides de Ramsar, en Iran, en 1971.

Mais alors qu’on a réussi à diminuer radicalement le nombre de fumeurs par des lois et règlements stricts et appliqués, par des taxes et d’innombrables campagnes de prévention, on a allégrement continué de réduire le nombre de marais et marécages, de remblayer des plaines d’inondations et d’imperméabiliser les sols à grand renfort d’asphalte et de champs de maïs, qui laissent ruisseler les eaux de surface plutôt que de les absorber. On a jeté l’éponge, et on voudrait maintenant que l’eau disparaisse comme par magie !

Il suffit que de 5 % à 10 % de la superficie d’un bassin versant soit occupée par des milieux humides, comme des marais et marécages, pour réduire de moitié la hausse du niveau de l’eau quand survient une crue. Autrement dit, chaque fois qu’on assèche un milieu humide, on ajoute une épaisseur de sacs de sable pour protéger les maisons lors d’une crue.

En 1988, le gouvernement du Québec était l’un des derniers en Amérique du Nord à vouloir se doter d’une loi pour protéger les cours d’eau et les milieux humides. Elle est entrée en vigueur en 1993. « Ministres et mandarins ayant mesuré après son adoption l’importance de cette loi, ils en ont paralysé la publication dans la Gazette officielle pendant quatre ans, chacun voulant être exempté de l’application du nouveau régime », rapportait le journaliste Louis-Gilles Francœur dans Le Devoir en 1993. Désormais, il faudrait avoir un certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement du Québec pour tout projet susceptible d’affecter quelque milieu humide que ce soit, y compris sur des terrains privés.

Sauf que les certificats ont été distribués comme des bonbons et que cela n’a à peu près rien changé. En 2006, Québec a donc instauré un nouveau règlement forçant les promoteurs à compenser de diverses manières les pertes de milieux humides résultant de leurs chantiers. Des chercheurs ont analysé les 558 certificats d’autorisation délivrés par le ministère de l’Environnement de 2006 à 2010, qui portaient sur 2 870 hectares de milieux humides. Les résultats de leur étude, publiée en décembre dernier, montrent que les mécanismes de compensation ont abouti à la perte nette de 2 855 hectares de milieux humides. Pas vraiment un succès !

Bilan : de 1990 à 2011 seulement, les basses-terres du Saint-Laurent ont perdu 20 % de leurs milieux humides.

Début avril 2017, le ministre David Heurtel a déposé un nouveau projet de loi qui prévoit que plus aucune perte de milieu humide ne devra découler d’un quelconque chantier. C’est assurément un grand pas en avant, salué notamment par Canards Illimités, qui défend ces écosystèmes. Il reste à espérer que cette loi sera adoptée rapidement et mise en application de façon stricte. Cela ne protégera pas les Québécois des futures inondations, mais on conservera au moins ce qui reste de notre éponge…

Même en dehors des zones humides, le sol peut se gorger d’eau quand il pleut, mais pas l’asphalte. Donc, chaque fois qu’on construit un nouveau lotissement, qu’on élargit une route, qu’on agrandit un stationnement ou qu’on asphalte une entrée de maison, on imperméabilise le sol, on augmente la pression sur les réseaux d’égouts et on diminue la capacité de résistance aux crues dans le bassin versant. L’étalement urbain est le meilleur ami des inondations.

Le dernier rapport du consortium Ouranos, publié en 2015, est on ne peut plus clair à ce sujet.

L’urbanisation de zones vulnérables et la pression foncière croissante qui s’y exerce sont à l’origine de risques de plus en plus graves.  La  priorité doit  viser désormais la préservation des plaines inondables, en tenant compte notamment de leur capacité d’expansion lors des crues, la maîtrise de l’urbanisation, par exemple en faisant respecter l’interdiction de construire en zone inondable, et la prise en compte des risques dans les différents modes d’utilisation du sol dans une perspective d’adaptation aux changements  climatiques et de développement durable.

Est-ce qu’on va enfin se décider à vraiment essayer de contenir la croissance des villes ? Le dernier recensement a montré que l’étalement urbain continue de progresser au Québec. On sait pourtant exactement ce qu’il faut faire : arrêter d’élargir ou de prolonger des autoroutes, densifier les villes, aider les jeunes familles à s’y établir… Bref, s’en occuper pour de bon. Cela impliquera sans doute des mesures pas très populaires, soit. Mais les fumeurs non plus n’ont pas trop apprécié quand on leur a interdit d’en griller une à leur bureau ! Il faut se désintoxiquer de la banlieue éloignée.

Et puis, il y a l’éternelle question de bâtir ou de rebâtir en zone inondable après une crue. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il semble qu’on continue, en 2017, en toute connaissance de cause, de construire de nouvelles maisons dans des zones inondables au Québec. C’est, pour reprendre mon analogie avec le tabac, l’équivalent d’offrir une cigarette à un enfant. Aberrant !

Depuis 2005, en théorie, il est interdit au Québec de rebâtir une maison en zone inondable si elle a subi des dommages dont le coût dépasse la moitié de sa valeur foncière. Ce qui n’a pas empêché la reconstruction, en 2011, de nombreuses maisons après les inondations dans la vallée du Richelieu, et ce, en toute impunité. Les villes ferment les yeux pour garder les revenus qu’elles tirent de l’impôt foncier. Est-ce qu’on continue de laisser les gens fumer là où c’est interdit ?

Pour inciter les fumeurs à écraser, et financer notamment les soins de santé, on a haussé les taxes sur le tabac. Cela n’a pas fait que des heureux. Devrait-on faire payer plus de taxes aux gens qui veulent continuer de vivre en zones inondables pour financer la future aide aux sinistrés ? Pourquoi pas ? Pensons-y, plutôt que de nous mettre la tête dans le sac de sable…

Surtout que les choses n’iront pas en s’arrangeant, car on sait que les changements climatiques accroissent le risque d’événements extrêmes. MM. Couillard et Trudeau reconnaissent aujourd’hui qu’il faut y voir. C’est à peu près temps. En 1995, il y a donc 22 ans, le rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat, le GIEC, évoquait déjà ce phénomène et conseillait aux décideurs d’améliorer la surveillance et la préparation pour faire face à une augmentation possible de la fréquence des crues exceptionnelles. Cette fois, se décidera-t-on à vraiment mettre le pied sur l’accélérateur ?

Lire cet article de Valérie Borde sur le site de L'actualité.